
Dominique Manotti : c'est Marseille mémé ! (3/3)
19/12/2025 | 42min
La technique le flow de malade, artistiquement elle se balade Dans son roman L’évasion (Gallimard, 2013), Dominique Manotti libère le seul personnage d’écrivain de son œuvre : Filippo Zuliani, un petit voyou rital de vingt-trois ans qui s’échappe d’une prison romaine mais qui regrettera bientôt d’avoir « marqué un point contre le désespoir » en publiant l’histoire de son compagnon de cellule, ancien membre des Brigades rouges. Le destin punira Filippo d’avoir trahi, en étant à la fois trop précis dans son roman et… trop bavard en interview. « J’ai la conviction que le roman noir sera la grande littérature du XXIe siècle, ce siècle des paradis fiscaux et de la perte de contrôle des Etats sur les masses monétaires à l’échelle mondiale. Le pouvoir change de mains. Il faut le raconter », dit celle qui fréquenta trente ans durant « un certain nombre d’amis flics, démissionnaires ou retraités ». Les ténébreuses silhouettes qui peuplent ses livres-enquêtes commencent à lui parler dans les embouteillages, ou lors de ses moments de repos. « Je respecte les faits, leur ordre de succession, je m’oblige à construire mon histoire sans les déformer. Mais les personnages, je les invente, c’est ma jubilation. Je raconte des hommes qui ne sont ni des monstres ni des anges. Pour moi, il s'agit d'humaniser mes salauds. » Pour Or noir (2015), son imagination « frémit » en situant la nouvelle enquête du commissaire Daquin à Marseille – qui lui fournit ensuite la matière terrible de son dernier roman en date : Marseille 73. Publié par Les Arènes en 2020, vendu à trente mille exemplaires, l’ouvrage restitue jour par jour le récit glacial d’une vague d’authentiques assassinats racistes perpétrés en toute impunité dans la cité phocéenne, en bande organisée. « La technique le flow de malade, artistiquement elle se balade, personne ne peut la canaliser » : si l’on se fie à cette description de Jul, Dominique Manotti, c’est Marseille mémé ! L’autrice du mois : Dominique Manotti Née en 1942 à Paris sous le nom de Marie-Noëlle Thibault, Dominique Manotti a enseigné l’histoire au lycée puis à l’université Paris-VIII Vincennes Saint-Denis. Au milieu des années 90, cette spécialiste de l’histoire économique du XIXe siècle entame avec Sombre Sentier un cycle de treize romans noirs aux éditions Rivages ou dans la Série Noire de Gallimard, marqués par ses combats syndicaux. Elle a reçu en 2002 le grand prix du festival de Cognac pour Nos fantastiques années fric (adapté au cinéma par Éric Valette, avec André Dussollier et Rachida Brakni, sous le titre Une affaire d’État) ou, en 2011, le grand prix de littérature policière pour L’honorable société (co-écrit avec DOA). Elle vit et travaille au-dessus d’un cinéma, au bord du bassin de la Villette. Remerciements : Studio Gong, Christophe Siébert Enregistrements octobre 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Karen Beun, Mathilde Guermonprez Montage Mathilde Guermonprez, Étienne Bottini Lectures Chloé Assous-Plunian, Richard Gaitet Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Saxophone, piano, mellotron, violon, violoncelle et trombone Xavier Thiry Illustration Sylvain Cabot Remerciements Studio Gong, Christophe Siébert

Dominique Manotti : dans l'engrenage (2/3)
19/12/2025 | 52min
Documentation solide, tempo haletant, zéro poésie : la méthode Manotti Dans ce deuxième volet de cet interrogatoire en règle chez le R. G., nous verrons comment Dominique Manotti s’est employée à signer « la chronique noire d’un échec : celle de la génération 68 », Roman après roman, rien n’échappe à son regard laser d’historienne « enragée », prête à remonter jusqu’au sommet de l’Etat : spéculation immobilière et trafic de coke dans le monde hippique (À nos chevaux, 1997), élus corrompus dans les vestiaires de Levallois (Kop, 1998), portrait armé de la diplomatie sous Mitterrand (Nos fantastiques années fric, 2001), délocalisation sans merci d’une usine des Vosges (Lorraine Connection, 2006, vendu à treize mille exemplaires) ou flics ripoux brisés par la « politique du résultat » (Bien connu des services de police, 2010, écoulé à vingt-cinq mille copies). Avec, de nouveau, le flegme savoureux du commissaire Daquin, qui passe parfois le relais à une nouvelle héroïne, Noria Ghozali, tendue comme un schlass planté dans la cuisse des prédateurs. Son œuvre s’apparente à une version papier de la série Engrenages (Canal+, 2005-2020), souvent campée comme chez Manotti dans le nord blafard de Paris. De quelle manière alors s’articulent ses engrenages fictionnels, brefs et méchants, extrêmement documentés, dénués de poésie et de figures de style, mais riches en scènes de cul comme en règlements de compte, livrés dans un style sec, « direct », toujours écrit au présent ? Pour le savoir, poursuivons la déposition. L’autrice du mois : Dominique Manotti Née en 1942 à Paris sous le nom de Marie-Noëlle Thibault, Dominique Manotti a enseigné l’histoire au lycée puis à l’université Paris-VIII Vincennes Saint-Denis. Au milieu des années 90, cette spécialiste de l’histoire économique du XIXe siècle entame avec Sombre Sentier un cycle de treize romans noirs aux éditions Rivages ou dans la Série Noire de Gallimard, marqués par ses combats syndicaux. Elle a reçu en 2002 le grand prix du festival de Cognac pour Nos fantastiques années fric (adapté au cinéma par Éric Valette, avec André Dussollier et Rachida Brakni, sous le titre Une affaire d’État) ou, en 2011, le grand prix de littérature policière pour L’honorable société (co-écrit avec DOA). Elle vit et travaille au-dessus d’un cinéma, au bord du bassin de la Villette. Remerciements : Studio Gong, Christophe Siébert Enregistrements octobre 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Karen Beun, Mathilde Guermonprez Montage Mathilde Guermonprez, Étienne Bottini Lectures Chloé Assous-Plunian, Richard Gaitet Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Saxophone, piano, mellotron, violon, violoncelle et trombone Xavier Thiry Illustration Sylvain Cabot Remerciements Studio Gong, Christophe Siébert

Dominique Manotti : la mamie rouge du roman noir (1/3)
19/12/2025 | 56min
Des barricades de 68 aux premiers feux fictionnels Dans cette nouvelle affaire confiée à notre agence de détectives littéraires, la principale suspecte se nomme Dominique Manotti, 83 ans, alias « la mamie rouge du roman noir ». Une multirécidiviste en activité depuis 1995, avec à son actif treize romans violents, rapides comme une balle et froids comme un flingue, salués par la critique, traduits en allemand, en anglais, en grec ou – plus louche – en russe. L’une des (trop) rares femmes du polar français des trente dernières années, qui publia son premier bouquin aux éditions du Seuil… à 52 piges ! Quels sont les secrets de cette fille de la bourgeoisie parisienne, de cette agrégée d’histoire économique aux fortes convictions marxistes anticoloniales, militante pour l’indépendance de l’Algérie ou le droit à l’avortement, cette lanceuse de pavés en mai 68 qui apprit à écrire dans « Les cahiers de mai » avant de devenir syndicaliste CFDT ? Faut-il retourner tous les tiroirs de son bureau pour comprendre comment elle s’engagea en littérature après avoir lu LA Confidential de James Ellroy ? De quelle manière a-t-elle taillé son premier diamant noir : Sombre Sentier, centré sur sa plus grande victoire syndicale dans les coulisses des ateliers textiles clandestins du centre de Paname, vendu à dix mille exemplaires et marqué par le coquin Théo Daquin, son célèbre commissaire gay à « belle gueule carrée », un poulet « chaud lapin » qui fait l’amour à ses indics et dont les bureaux se situent… passage du Désir ? C’est l’objet du premier volet de cette garde-à-vue sans menottes qui entend faire toute la lumière sur le dossier Manotti. L’autrice du mois : Dominique Manotti Née en 1942 à Paris sous le nom de Marie-Noëlle Thibault, Dominique Manotti a enseigné l’histoire au lycée puis à l’université Paris-VIII Vincennes Saint-Denis. Au milieu des années 90, cette spécialiste de l’histoire économique du XIXe siècle entame avec Sombre Sentier un cycle de treize romans noirs aux éditions Rivages ou dans la Série Noire de Gallimard, marqués par ses combats syndicaux. Elle a reçu en 2002 le grand prix du festival de Cognac pour Nos fantastiques années fric (adapté au cinéma par Éric Valette, avec André Dussollier et Rachida Brakni, sous le titre Une affaire d’État) ou, en 2011, le grand prix de littérature policière pour L’honorable société (co-écrit avec DOA). Elle vit et travaille au-dessus d’un cinéma, au bord du bassin de la Villette. Remerciements : Studio Gong, Christophe Siébert Enregistrements octobre 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Karen Beun, Mathilde Guermonprez Montage Mathilde Guermonprez, Étienne Bottini Lectures Chloé Assous-Plunian, Richard Gaitet Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Saxophone, piano, mellotron, violon, violoncelle et trombone Xavier Thiry Illustration Sylvain Cabot Remerciements Studio Gong, Christophe Siébert

Murielle Joudet : critique, éthique et tics, aïe-aïe-aïe (3/3)
07/10/2025 | 53min
Enquêtrice de la fabrique des images Murielle Joudet le répète à l’envi : « Il faut prendre les actrices au sérieux, restituer avec justice et justesse leur importance dans nos vies, prendre en compte comment certaines ont su manœuvrer pour continuer d’apparaître telles qu’en elles-mêmes, y compris dans des films où le regard masculin est apparemment tout-puissant. Sans pour autant tomber dans l’illusion de leur liberté absolue car, bien sûr, l’industrie est là, souveraine. » Dans son troisième livre plein d’esprit, La seconde femme, elle dresse huit portraits de comédiennes qu’elle observe « jusqu’à plus soif » pour comprendre ce que Nicole Kidman, Meryl Streep, Brigitte Bardot ou son idole Bette Davis réussirent à imposer au système dans le deuxième acte de leur carrière – à force de travail, de bâtons de dynamite ou de simple désertion. Ces derniers temps, Murielle Joudet a aimé Monte-Cristo version Pierre Niney, Max Mad : Furiosa, Joker 2, Bridget Jones 4, France de Bruno Dumont, The Substance de Coralie Fargeat, Anora de Sean Baker ou Spring breakers d’Harmony Korine. Des coups de cœur éclectiques, qui se comptent chaque année sur les doigts d’une main. « Habituellement, confie-t-elle, on peut écrire le texte dans sa tête pendant la projo, on sait exactement ce qu’on pense du film à la sortie et la plupart des œuvres font de moi une critique snob et blasée. Mais une ou deux fois par an, un film me désarme complètement. » En conséquence, cette spectatrice exigeante préférera toujours « voir cinquante fois un chef-d’œuvre plutôt qu’une fois une œuvre plaisante », selon la formule de la cinéaste et écrivaine Catherine Breillat, femme « scandale » à laquelle Joudet consacre en 2023 un recueil d’entretiens, Je ne crois qu’en moi, sacré meilleur ouvrage français sur le cinéma par le Syndicat de la critique. Dans ce troisième et dernier épisode, Murielle Joudet réaffirme ses envies d’enquêtes sur la fabrique des images, en « calmant ses envies de style, sans chercher l’éclat à tout prix ». Tout en rappelant l’existence d’un collectif qui ne manquera pas de fédérer des vocations : « Pigistes en pyjama ». L’autrice du mois : Murielle Joudet Née en 1991 à Paris, Murielle Joudet est critique de cinéma dans la presse (Le Monde), à la radio (sur France Inter pour Le masque et la plume), en ligne (dans le podcast Sortie de secours ou via l’émission Dans le film sur le site Hors-Série) ou pour la Cinémathèque française. Elle a publié quatre ouvrages qui documentent avec rigueur des façons de défier les conventions, en tant que femme, dans l’industrie du 7e art : Isabelle Huppert – vivre ne nous regarde pas (Capricci, 2018), Gena Rowlands – on aurait dû dormir (Capricci, 2021), La seconde femme – ce que les actrices font à la vieillesse (Premier Parallèle, 2022) et un recueil d’entretiens avec la cinéaste Catherine Breillat, Je ne crois qu’en moi (Capricci, 2023). Elle vit et travaille à Paris. Enregistrement juillet 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Étienne Bottini Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Harpe, flûte, clarinette, cor, basson, xylophone, timbales et gong Xavier Thiry Illustration Sylvain Cabot

Murielle Joudet : bas les masques, tout pour la plume (2/3)
07/10/2025 | 50min
Être critique, écrire sur les actrices Elle a détesté Barbie de Greta Gerwig pour son « fétichisme de la marchandise gonflé aux dimensions d’un blockbuster estival », son « auteurisme définitivement dévoré par l’hégémonie des franchises, l’ironie permanente et la postmodernité comme impasses narratives » ou « et c’est sans doute le plus pénible », écrivit-elle dans Le Monde, « la défense d’un féminisme néolibéral infantilisant devenu la façade respectable d’un capitalisme décomplexé ». Pour Murielle Joudet, un·e critique doit être « une sorte d’enfant obèse et ingrat, comme les post-humains imaginés par le studio Pixar dans Wall-E. Il ou elle ne doit rien à personne, parce qu’il ou elle n’a rien à revendiquer, rien à vendre et que personne ne l’aime. J’ai vu des critiques arrondir les angles d’une interview, couper ce qui pouvait être (un peu) choquant et ça m’a servi de leçon. J’écris des livres pour parler en mon nom, pour y aller à fond. » Après 21 pages sur Coppola en 2016 (dans un bouquin où elle était la seule femme parmi neuf auteurs), et entre les dizaines d’articles du monumental Hitchcock la totale en 2019 (co-signé avec trois complices de la Cinémathèque française), Murielle Joudet se donne enfin le premier rôle via deux ouvrages consacrés à deux actrices majuscules. D’abord Isabelle Huppert, avec Vivre ne nous regarde pas en 2018, puis Gena Rowlands en 2021, avec On aurait dû dormir, récompensé par le Centre National de la Cinématographie. Ce deuxième épisode dissèque ce remarquable diptyque contre l’ennui, pensé pour honorer des performances qui « tournent autour de la folie en s’aventurant très loin dans l’idée de se rendre incompréhensibles ». En montrant par exemple comment Gena Rowlands, égérie du cinéma de son compagnon John Cassavetes, parvient à traduire physiquement le « flux de conscience » cher à Virginia Woolf. « Son corps s’infléchit à la moindre pensée : elle ne ravale aucun état d’âme, les laisse infuser, fait du montage d’humeurs à même son corps, traversée par une violence inouïe. On peut avoir des éclats dépressifs ou des élans d’euphorie, dissimulés en général sous un masque de neutralité. Son masque glisse tout le temps. » Bas les masques, tout pour la plume. L'autrice du mois : Murielle Joudet Née en 1991 à Paris, Murielle Joudet est critique de cinéma dans la presse (Le Monde), à la radio (sur France Inter pour Le masque et la plume), en ligne (dans le podcast Sortie de secours ou via l’émission Dans le film sur le site Hors-Série) ou pour la Cinémathèque française. Elle a publié quatre ouvrages qui documentent avec rigueur des façons de défier les conventions, en tant que femme, dans l’industrie du 7e art : Isabelle Huppert – vivre ne nous regarde pas (Capricci, 2018), Gena Rowlands – on aurait dû dormir (Capricci, 2021), La seconde femme – ce que les actrices font à la vieillesse (Premier Parallèle, 2022) et un recueil d’entretiens avec la cinéaste Catherine Breillat, Je ne crois qu’en moi (Capricci, 2023). Elle vit et travaille à Paris. Enregistrement juillet 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Étienne Bottini Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Harpe, flûte, clarinette, cor, basson, xylophone, timbales et gong Xavier Thiry Illustration Sylvain Cabot



Bookmakers : le making-of de la littérature